2 Juillet 2014
Environ la moitié de mon emploi du temps de volcanologue est consacré au dévelopement et l'application sur le terrain de la caméra a SO2, un instrument qui permet de mesurer, en 2D et a haute fréquence, le dioxyde de soufre dans les panaches volcaniques. L'autre moitié de mon temps, je le consacre à l'analyse d'images satellites, toujours dans le but de mesurer les émissions de SO2, mais a une échelle plus large. C'est un travail de bureau assez répétitif et relativement peu enthousiasmant, mais les satellites ont un immense avantage: ils ne connaissent pas de frontières, et permettent, sans se déplacer, d'étudier le volcan de son choix aussi difficile ou dangereux d'accès soit il. J'utilise essentiellement les données de deux satellites: OMI et ASTER
OMI est un spectromètre ultraviolet qui mesure le SO2 avec une résolution au sol d'environ 20km, et une fréquence d'une image par jour. C'est le satellites le plus utilisé par mes collègues pour mesurer le SO2, et les images, générées par la NASA, sont disponibles sur de nombreux sites (comme par exemple ici)
ASTER est un radiométre multispectral infrarouge qui mesure le SO2 avec une résolution au sol d'environ 90m et une fréquence d' une image toutes les 2 semaines.
Aujourd'hui, je vous partage une découverte qui m'enchante, et qui j'espère, vous intéressera aussi, collégues, volcanophiles ou simples curieux.
Je travaille depuis quelques années sur les émissions des volcans des Virunga, situés en Afrique centrale, à la frontière très instable entre la République “Dèmocratique” du Congo et le Rwanda (tout aussi démocratique bien entendu).
Cette chaîne de grands volcans quaternaire est édifiée sur la branche occidentale du Rift Est Africain et compte deux volcans trés actifs. Le Niragongo, et le Nyamuragira. Les deux volcans sont distants d'une quinzaine de km et ont un dynamisme éruptif essentiellement effusif, impliquant des magmas très fluides.
Le Niragongo est célèbre pour son lac de lave découvert en 1948 par Haroun Tazieff et exploré par son équipe dans le quart de siècle qui suivit au cours d'expédition hautes en couleurs. En 1977, le lac se vidangea brusquement en sous formes de coulées de lave extrmêment rapides qui firent plusieurs centaines de victime. Le lac de lave s'est reformé en 1982, fut actif par intermittance jusque 2002 et le 17 janvier 2002, se vidangea à nouveau par un réseau de fractures Nord-Sud. Les coulées atteignirent cette fois la ville de Goma, faisant de nouveaux plus d'une centaine de morts, notemment lors de l'explosion d'une station-service atteinte par la lave. Le lac de lave s'est reformé tout au fond du cratère en juin 2002, et est trés actif depuis depuis lors. C'est, en terme de surface et d'activité le plus grand lac de lave du monde. Son niveau a effectué une remontée spectaculaire de 500m en une dizaine d'années. Le Niragongo est un des 10 plus gros émetteurs volcaniques permanent de SO2 au monde.
Le Nyamuragira est un petit peu moins connu. C'est pourtant le volcan le plus actif d'Afrique en terme de production magmatique. Il a abrité dans sa caldeira un lac de lave du début du XXème siècle à 1938,et délivre depuis 1948 en moyenne une éruption tous les deux ans. On parle ici d'éruption intenses accompagnées de fontaines de lave de plusieurs centaines de mètres de hauteur et de coulées de lave qui peuvent parcourir jusque à 20 km en queques jours. Chaque éruption injecte également dans l'atmosphère plusieurs centaines de milliers de tonnes de dioxyde de soufre. Entre deux éruptions, seules quelques paresseuses fumeroles s'exhalent dans sa caldera de 2 km sur 3. De nombreuses preuves, issues de diciplines très différentes (pétrologie, sismologie, interférométrie radar, étude stochastique de la récurrence des éruptions) indiquent qu'une chambre magmatique pressurisée réside a faible profondeur (~3km) sous la caldera du volcan.
La dernière éruption du Nyamuragira s'est produite du 7 novembre 2011 à la mi-mars 2012. Elle a été inhabituellement longue et volumineuse pour ce volcan (200 millions de m3 de lave émise). Peu après la fin de l'éruption, les émissions de SO2 mesurées par OMI (figure 1) ont commencé a augmenter, atteingnat un pic en octobre 2012, et se stabilisant par la suite à un niveau beaucoup plus élevé qu'avant l'éruption.
Les données d'OMI ne permettent pas de déterminer qui du Nyamuragira ou du Niragongo est responsible de cette augmentation des émissions, vu que la distance qui les sépare est inférieure a la taille d'un pixel d'OMI. C'est ici qu'entre en jeu l'analyse des images d'ASTER (figure 2). Sur toutes les images acquises depuis mars 2012 et dépourvues de nuages, on peut observer qu'un panache très concentré en SO2 est émis par le Nyamuragira, et plus précisément par le cartére-puit situé dans la partie N de sa caldeira.Les images ASTER permettent donc d'identifier le Nyamuragira comme le responsable de l'augmentation récente des émissions de SO2 des volcans des Virunga. Les émissions du Nyam sont désormais 3 a 10 fois plus intenses que celles de son voisin qui posséde le plus grand lac de lave du monde...
La seule facon d'expliquer ce dégazage extraordinaire et continu (les images OMI prouvent la continuité), est qu'un lac de lave s'est formé tout on fond du cratère Nord du Nyamuragira. Jusqu'a il y a quelques mois, cette théorie pouvait sembler spéculative, vu l'absence d'anomalie thermiques détectées par les satellites, ou d'incandescence observée par les observateurs locaux. Mais cette absence pouvait s'expliquer par la grande profondeur a laquelle se situe la surface du lac, et par la densité du panache de gaz et d'aerosols que le gaz émettait, qui absorbe tres fort la radiation infrarouge.
Or depuis avril de cette année, des anomalies thermiques isolées ont commencé à apparaître sur le système de détection automatique MODVOLC, et se sont faites de plus en plus fréquentes depuis une semaine (figure 3). Ce que je soupconnais depuis longtemps est mainten pour moi une certitude: la famille assez peu nombreuse (5 ou 6 sur terre) des lacs de lave permanents compte un nouveau membre en très bonne santé.
Figure 1: Série temporelles d'images mensuelles d'OMI. Les images entourées de rouge délimitent la période d'éruption du volcan. Les émissions de SO2 aprés l'éruption sont bien plus élevées qu'avant l'éruption.
Images du satellite ASTER. En haut se images visibles (en pseudo-couleurs, La végétation apparait en rouge et les coulées de laves récentes en Noir). En bas les carte de SO2, obtenues par traitement de l'image infrarouge (la concentration du panache est figurée au moyen d'une échelle de couleur exprimée en gramme par mètres carrés). A gauche, paire d'image acquise en février 2011, avant l'éruption. au centre, paire d'image acquise en juin 2013, montrant un panache très important, et à droite paire d'image acquise en janvier 2014.d'image